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Les neurosciences, à l’heure du bain
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Huuuue, Bienvenue dans l’infolettre « Flûte, j’ai poney », une enquête participative du magazine Médor. Jusqu’à la fin de l'année 2024, nous nous intéressons à la pression qui pèse sur les parents par rapport aux activités extrascolaires (temps, budgets, trajets, charge mentale et messages sur les groupes whatsapp). Vous avez loupé des bouts ? Rendez-vous sur www.medor.coop/poney La conclusion de ce travail sera publiée dans le Médor n°37 (décembre 2024). Abonnez-vous avant ! www.medor.coop/abo
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Ces joyeuses illustrations sont signées Pauline Lecerf.
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La dernière fois, on s’est demandées si le MR allait être à l’origine d’un Big bang, avec son projet de caser toutes les activités à l’école de 8h à 17h (y compris le judo, le piano et le codage en Python). Et puis on avait vu que peut-être, la réalité allait être plus compliquée (voir notre précédente infolettre, ici). Depuis, la ministre de l’Enseignement Valérie Glatigny (MR), nous a d’ailleurs rappelé que la réforme des rythmes scolaires (dates des vacances) avait déjà pris 30 ans, donc la réforme des rythmes journaliers n’allait pas se faire en une demi-législature. Avant d’ajouter: « Les parents resteront toujours libres d’emmener leurs enfants au poney si l’enfant a envie d’aller au poney, ou au cours de musique s’ils ont envie de mettre leurs enfants en cours de musique. » Cette petite phrase ministérielle nous mène, mine de rien, à un autre débat. Notre enfant, on l’inscrit au poney « parce qu’il a envie d’aller au poney » et à la musique « parce qu’on a envie, nous les parents, de le mettre à la musique » ? Ou parce qu’on a lu un article qui disait que c’était bon pour son cerveau? Voici donc les activités de la semaine, sous le signe d’une dictature : celle des neurosciences.
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Lundi, activité « coloriage et odeur de pipi »
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Manu, mère de deux enfants, nous écrit: « Les enfants restent 3 jour sur 5 à la garderie, ils sont assis à colorier, et ça pue le pipi car les toilettes sont dans un état pitoyable. Ils ne courent pas (ou très peu) et ils vont dans la cour s’il fait beau (sauf que nous sommes en Belgique, pas en Grèce...). J’hallucine, on sait que pour que le cerveau se développe, il faut du sport, et on sait qu’être assis fait mal à la santé. (…) Bref, pour l’année prochaine, je me prépare à de l’extra-scolaire 5 jours sur 5, avec une grande anxiété car pour faire les transports, je dois travailler les soirs (pour récupérer les heures pas travaillées pendant la journée) et moi, le soir, j’ai sommeil. » Cette mère précise que c’est elle qui se tape toute cette charge parce que son mari ne voit pas le problème avec la garderie. Peut-être que ce père n’a pas lu de livre sur les neurosciences et le développement de l’enfant ? Peut-être aussi qu’élever des enfants dans un monde surinformé est légèrement anxiogène ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que les neurosciences et le développement « du cerveau » viennent faire dans nos histoires de poneys ?
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Mardi, activité « jeux olympiques du cerveau »
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Michel Vandenbroeck (vous vous souvenez, ce professeur à l’UGent, déjà rencontré dans une précédente infolettre) a consacré un chapitre de son bouquin « Être parent dans notre monde néolibéral » à la façon dont les neurosciences ont pris le pouvoir dans notre éducation. On vous résume le problème en trois boulettes : - Les neurosciences ont contribué à décrire les différents stades de développement de l’enfant et permis de mieux prendre en compte la façon dont on pouvait l’aider à grandir. Très bien. Longue vie aux neuroscientifiques.
- Sauf que, pour Michel Vandenbroeck, ces études ont été dévoyées et utilisées (y compris par les pouvoirs publics) dans une vision « déterministe », comme un manuel à suivre pour développer le cerveau de nos enfants. Résultat : nous voilà lancés dans les « Jeux olympiques du développement ». Tout se joue dans les premières années de la vie ? Il s’agirait donc de ne pas louper une marche et de stimuler le développement du cerveau de votre bambin, partout, tout le temps. L’enfant est donc vu comme un adulte en devenir, qu’il faut préparer, étape par étape.
- Cela donne quoi ? Ça « ajoute de la pression sur les parents » tout en déresponsabilisant le politique. Et cela permet à ceux dont les enfants s’en sortent bien d’avoir le sentiment que c’est dû uniquement à leurs efforts et aux talents exceptionnels de leur progéniture. En oubliant, au passage, que le niveau socio-économique des parents est le plus gros facteur de réussite scolaire et professionnelle.
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Mercredi, activité « toujours sur la balle »
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Anne-Sophie a deux bras, deux jambes et deux enfants. Des jumeaux. Elle est « Maman solo » (même si, dit comme ça, ça fait joueuse de flûte à bec), a une formation de psychologue et un CV de DRH. Et elle assume volontiers le côté très « pensé » de ses choix d’activités. Tu as commencé tôt, les activités ?Je fais de l’accompagnement de mes enfants depuis qu’ils sont dans mon ventre. J’ai fait de la communication connectée, du watsu (shiatsu dans l’eau chaude). J’ai toujours fait des thérapies alternatives pour essayer de m’accompagner, de me guider, et je le fais aussi pour mes enfants : ostéopathie, psychomot relationnelle, etc. ça aussi, ça prend du temps ! Je leur offre la possibilité d’essayer des choses, de voir ce qui convient, ce qui ne convient pas. J’ai envie que la vie soit douce et qu’ils puissent avancer doucement dans la vie. C’est vraiment que ça soit fluide pour eux et qu’ils soient heureux à chaque étape. Et les activités sportives, culturelles ?J’ai commencé les bébés nageurs relativement tôt parce que moi, j’adore l'eau et c’était important qu’ils puissent s’en sortir, si jamais, un moment d’inattention... Quand ils ont eu deux ans et demi, là, j'ai fait des cours de natation. Et ils ont fait de la gym aussi. Je voulais m’assurer que tout aille bien au niveau psychomot et surtout qu’ils aient un endroit où se défouler, où grimper, moins dangereux qu’à la maison. C’était en anglais. Aujourd’hui, à 6 ans, ils font quel sport ?De la natation et du foot. Ils aiment bien tous les deux. Je voulais qu’ils aient un sport collectif, parce qu’il y a l’idée d’apprendre à jouer ensemble, à s'écouter, à s'entendre. C’est quand même toutes des compétences utiles, je l’observe tous les jours, en tant que recruteuse. Il y a des compétences qui s’acquièrent à travers le sport collectif que tu acquières plus difficilement autrement.
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Jeudi, débat « chorale vaginale »
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Tu veux stimuler le cerveau de ton enfant pour maximiser son développement ? Trop tard. Il fallait le faire avant sa naissance (il n’y a pas d’âge pour se mettre la pression). Par exemple, avec un BABYPOD. À savoir un MP3 vaginal qui diffuse de la musique dans le ventre de la femme enceinte et stimulerait le développement de la vocalisation (chez le fœtus ?). Avec ça, si ton gamin n’est pas délégué de classe, tu suivras le conseil suivant : prendre un bain mousse et lâcher prise.
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Vendredi, activité « bain mousse »
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Shanna Latrez, pédagogue de formation et mère surmenée, a publié une tribune dans De Standaard en mai 2024, intitulée « Mon conseil à tous ces coachs parentaux qui appellent à prendre soin de soi : prenez ce bain vous-même, je n’ai pas le temps ». Elle aussi a d’abord tenté de tout bien faire: allaitement jusqu’à deux ans (x 3 enfants), nourriture bio, lecture d’histoires, environnement linguistique riche, jouets éducatifs, bouger suffisamment, lâcher prise suffisamment, ne pas faire l’hélicoptère… Et puis, elle a pété les plombs. « Le modèle de la culpabilité individuelle institutionnalisée fonctionne très bien. Les enfants sont considérée comme des ‘potentiels’, les parents en sont les gardiens. Malheur si cela échoue. Le poids mis sur les mille premiers jours est écrasant. J’en ai assez des conseils. Nous aimons follement nos enfants et nous faisons de notre mieux. Cela devrait suffire en termes de responsabilité parentale. J’attends un gouvernement qui prenne à nouveau au sérieux les soins, le soutien et l’éducation sous toutes leurs formes.» Parce que la façon dont nous nous occupons de nos enfants, c’est politique.
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Si vous voulez nous aider à méditer sur tout ça, nous encourager, nous liker, nous jeter des tomates ou des gif : poney@medor.coop Notre récolte de témoignages est maintenant terminée. Vous êtes 252 parents, 21 grands-parents et 28 enfants à avoir répondu à nos questionnaires. Merci ! Tout ça sera compilé et analysé dans un article du Médor n°37. Sortie prévue début décembre. Mais ça n'est pas la fin de cette infolettre pour autant ! Elle continuera à faire vivre l'enquête, avant et après sa publication. Pour vous abonner ou lire les précédentes éditions, c’est par ici :
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Chloé Andries Chaque jour, elle remercie le ciel que la passion de sa fille soit de « chiller dans le canapé ». Ce qui lui laisse du temps pour sa propre passion, fabriquer des pièges à limaces. Le reste de ses journées, Chloé les passe comme journaliste et pilote de Médor. Elle a réalisé pour la presse belge et française des enquêtes (et un film) sur les écoles alternatives, les réseaux catholiques d’extrême droite ou les garagistes du fin fond du Hainaut. Ses dadas : l’éducation, les religions, l’identité et les marges. Céline Gautier Experte du hobby horse (à titre professionnel) et joueuse de badminton sur le temps de midi, Céline connaît les meilleurs plans de stages pour enfants mais adore surtout fabriquer des décors en carton avec sa fille. Sinon, est elle aussi journaliste et pilote de Médor. Elle a réalisé, entre autres, des enquêtes sur le don d’ovocytes (prix Belfius 2017), l’enseignement spécialisé ou les places en crèche. Elle s’intéresse aux questions de société, à l’enseignement ou à l’accord du participe passé.
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Merci de votre intérêt pour notre enquête ! On se retrouve bientôt pour la même chose ou presque.
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