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Épilogue - Marc Hennau, personnage public malgré lui

Marc-Hennau
Serena Vittorini. CC BY-NC-ND.

Propriétaire de nombreuses maisons laissées à l’abandon dans un quartier de la rive gauche hutoise, Marc Hennau est affublé du surnom « l’homme aux 100 maisons. » Ces dix dernières années, sous sa gestion, le patrimoine familial s’est effrité. Épilogue du "portrait puzzle" d’un propriétaire négligent, un « bon gars », « complètement dépassé ».

« Je ne souhaite aucunement me mettre en avant. À vous de voir si cela mérite réellement l’attention de vos lecteurs. » Le suspense n’aura duré que quelques heures. Sans surprise, Marc Hennau n’a pas souhaité répondre aux questions de Médor. L’homme n’aime pas être au centre du jeu et vit de manière assez discrète. Avec la dégradation de la rive gauche hutoise, il est devenu, malgré lui, un personnage public qui a plongé tout un quartier dans le désarroi.

Difficile aujourd’hui, en se baladant Avenue des Fossés, d’imaginer le passé fleuri et dynamique des lieux d’il y a plusieurs dizaines d’années. Et pourtant, le quartier Axhelière était au cœur de nombreux commerces et entreprises dans les années 60-70’. Aujourd’hui, sur quelques centaines de mètres, près d’une quarantaine de maisons sont à l’abandon, une vingtaine murée sur décision du bourgmestre.

Triste en journée, le spectacle devient inquiétant le soir. « Ces maisons sont squattées. Il y a des incendies, des bagarres, de la drogue. On ne se sent pas en sécurité. Personne ne souhaite vivre ici, confie un riverain. Nos habitations sont victimes d’infiltration d’eau, lorsqu’elles sont mitoyennes d’un lieu abandonné. Sans oublier que nos biens perdent de la valeur… ». Depuis plusieurs années, le comité de quartier multiplie les appels aux politiques et les pétitions pour alerter sur la situation, sans succès.

Marc, héritier fortuné

Le point commun entre tous ces biens ? La grande majorité a appartenu à la famille Hennau dont Marc, aujourd’hui presque quinquagénaire, est l’héritier. Une famille bien connue dans la vallée mosane. Sa prospérité également. « En 1938, le grand-père de Marc a acheté le Château d’Envoz, raconte Thierry Delgaudinne, ancien correspondant de presse. Il serait venu régler l’achat avec une valise pleine de cash. »

La génération suivante n’est pas en reste, Mathieu (l’oncle), René (le père) et Astrid (épouse de René et mère de Marc) tenaient la boucherie chevaline, Avenue des Fossés. Un commerce florissant, dont les enseignes restent visibles sur la façade du bâtiment aujourd’hui abandonné. « C’est une famille de bosseurs, reprend Joseph Fievez, ancien député wallon (Rassemblement Wallon). Ils avaient également des terres agricoles et vendaient des pommes de terre. En semaine, René et Mathieu s’habillaient comme des ouvriers. Mais, le weekend, s’il y avait une réception au château d’Envoz, ils portaient le smoking pour faire le service eux-mêmes. »

Les affaires fonctionnent bien, tellement bien que la famille continue d’investir. « Astrid m’avait confié vouloir détenir toute la rue Axhelière, se remémore une riveraine. Quand un proche est décédé, elle nous a demandé si nous avions l’intention de vendre… »

Astrid, c’est la gestionnaire, le cerveau de la bande. Elle gère les comptes, perçoit les loyers et tient les cordons d’une bourse où toute dépense inutile est évitée. « Ils m’avaient fait une remarque lorsque j’ai changé moi-même de boiler, se souvient Joseph Fievez qui fut également locataire de la famille durant plus de 40 ans. Mathieu et René étaient très manuels. Ils parcouraient les ventes publiques de la région pour dégoter de bonnes affaires, faire les réparations dans les maisons et économiser ainsi un peu d’argent. Ils étaient très soucieux de trouver des moyens de gagner des sous. » Et, lorsqu’une loi oblige les propriétaires d’immeubles à créer des places de parking pour les logements, la famille sent l’opportunité et construit des rangées de garages à louer.

Hennau
Serena Vittorini. CC BY-NC-ND

Branché sur l’informatique

Fils unique de René et Astrid, Marc se retrouve seul héritier. Mais son truc, lui, c’est l’informatique - qu’il étudie en supérieur. Une fois diplômé, il lance un petit commerce dans ce secteur, sans succès. En 1999, il retente une expérience en organisant un marché informatique à Huy. Le concept est simple, chaque dimanche des exposants se rencontrent pour vendre du matériel neuf ou d’occasion. Mais cette activité s’arrête également, en novembre 2018, avec la vente du bâtiment d’exposition. Aujourd’hui encore, Marc reste branché sur ce secteur. « Il modernise le château d’Envoz avec de la domotique qu’il crée lui-même », confirme Luc Viatour, échevin écolo à Héron et voisin du châtelain.

Et, malgré un intérêt limité pour la gestion immobilière, Marc s’inscrit dans les affaires familiales dès 1994, avec un mandat de gérant dans la société immobilière de ses parents. Mais le fils n’a pas les prédispositions de "propriétaire-gestionaires" de ses parents. S’il a le côté manuel de son papa, il n’a pas la même capacité de gestion que sa maman. « Il y avait plus de désorganisations, moins de transparence avec Marc. Plusieurs locataires ont exprimé leur mécontentement et certains ont même arrêté de payer, souligne Joseph Fievez. Moi, j’adorais mon logement et je n’avais aucun problème avec lui. » Débordé, mal organisé, Marc laisse aller son patrimoine immobilier.

Lorsque les pompiers et la police débarquent dans son immeuble pour venir couper le gaz, les installations n’étant plus en conformité, les choses se compliquent. « Un certain nombre de travaux ont été réalisés, mais Marc ne les a jamais fait constater, je n’ai jamais compris pourquoi, » développe l’ancien locataire qui finit par attaquer son propriétaire en justice. « Le juge nous a donné raison. Il n’y avait personne pour représenter leur point de vue. »

Les difficultés de l’héritage et succession apparaissent ; entre le propriétaire du bâtiment, Marc, et les bénéficiaires de l’usufruit, les parents, on se renvoie la balle et la facture des travaux. Les petites tâches s’accumulent, bien trop nombreuses pour un seul homme totalement dépassé. Les parents prennent de l’âge, se retirent des affaires (officiellement du moins), laissant, au fil des années, de plus en plus de responsabilités à Marc.

Maison
"Marc commençait toujours tout. Ne finissait jamais rien." Joseph Fievez, un ancien locataire.
Serena Vittorini. CC BY-NC-ND

Un homme passionné

À Huy, il est affublé du surnom de « l’homme aux 100 maisons », la réalité est bien en deçà. Au total, une quarantaine de biens sont répartis entre les parents (Astrid et René), Marc et une société immobilière dont le fils est seul gérant depuis le décès de sa maman en mars 2017. La société sera déclarée en faillite quelques mois plus tard. « Par pure négligence, regrette le bourgmestre hutois Christophe Collignon qui lutte depuis son arrivée au maïorat contre les bâtiments inoccupés. S’il accordait la même énergie à ses bâtiments qu’à la traversée de la Meuse, tout irait mieux. »

Car Marc Hennau est également secrétaire de COOL Huy, club de nage en eau libre, une association avec laquelle il organise l’un des événements les plus emblématiques de Huy : la traversée de la Meuse, en plein hiver, dans une eau dépassant rarement les dix degrés. « Plusieurs nationalités viennent spécialement pour cela, notamment des Russes, développe Etienne Roba l’échevin hutois des sports et des événements. Marc, c’est plus qu’un bénévole, c’est un passionné. »

Et le secrétaire n’hésite pas à organiser des voyages à l’étranger, à descendre la Semois malgré 30 centimètres de neige et une eau à 0,5°, ou encore être la « Presque Star » du jour dans l’émission « C’est presque Sérieux » sur la Première avec toujours un même but : sensibiliser sur la qualité des eaux en surface. « Il y a une fibre écologique et sociale chez lui et, contrairement à ses parents, il est généreux » confirme Luc Viatour (Ecolo) qui collabore avec le propriétaire du château d’Envoz aux Nuits de l’Obscurité pour sensibiliser sur la pollution lumineuse. « Il m’a affirmé ne pas rentrer dans ses frais lors de cet événement. Mais il est convaincu de la nécessaire protection de l’environnement. »

La vente du château, un drame social ?

À Héron d’ailleurs, on s’est inquiété des répercussions du dossier hutois sur la commune – bien au-delà de la possible annulation de la Nuit de l’Obscurité. Après une action en cessation ayant pour objectif de faire cesser l’inoccupation de 16 bâtiments, assortie d’astreintes en cas de statu quo, la ville de Huy passe à l’action. Pour récupérer le million d’euros dû, le château d’Envoz a été mis en vente publique. Si le dossier est actuellement suspendu par un recours et que le jugement devrait intervenir début décembre, Collignon se montre optimiste. « Je pense que la justice va nous donner raison. »

Un changement de propriétaire qui pourrait être un drame social pour la quinzaine de locataires du château. « Ce sont des logements très modestes, on redirige les gens avec de faibles moyens là-bas pour se loger, » confirme Eric Hautphenne, le bourgmestre (PS) à Héron. Thierry Delgaudinne, qui travaille aujourd’hui avec des SDF, ne veut pas blâmer le propriétaire. « Pour des gens comme nous, les conditions peuvent paraître insuffisantes, mais pour beaucoup c’est le dernier rempart avant la rue. Marc, c’est quelqu’un qui a le cœur sur la main. » Et quand un Couthinois se retrouve en situation financière compliquée, « Marc est venu l’aider, pour permettre à ses enfants de continuer leurs études. »

Un "artiste" dépassé

Malgré les procédures en justice et le million d’euros dû à la ville de Huy, Marc ne semble pas préoccupé outre mesure. Il y a moins de 2 ans, il a acheté des terres agricoles à Couthuin et, il y a moins de dix ans, il était présent, avec son papa, lors de la vente publique du château de Lamalle dont la mise à prix était de 500 000 euros. Et pour ceux qui l’ont croisé récemment, Marc ne semble pas inquiet. « Il a été très rassurant envers les locataires du château d’Envoz, lorsque la vente publique a été annoncée (avant d’être suspendue par un recours). Il semblait serein » relate le bourgmestre Hautphenne avant que son échevin, Luc Viatour, ne complète : « Il parle peu du dossier hutois, c’est son jardin secret. » Un jardin secret qui impacte la vie de tout un quartier hutois. Reste un multiproprio négligent ? Thierry Delgaudinne le qualifie plutôt d’« artiste. Il a l’air totalement détaché. C’est un passionné, il ne fait que ce qu’il aime bien. » Un artiste qui aurait certainement préféré ne pas avoir à gérer cet imposant héritage.

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